La clause de tontine pour limiter l'héritage ?



Il n'est en principe pas possible de supprimer la succession que doit recevoir un héritier. Cependant il existe quelques techniques permettant de limiter ce que reçoivent les héritiers à la mort de leur proche parent.


Comment limiter la succession pour les héritiers ?

Le Code civil ne permet pas de supprimer totalement l’héritage, il distingue cependant la réserve héréditaire et la quotité disponible. La réserve héréditaire correspond à la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévotion libre de charges à certains héritiers, appelés héritiers réservataires. La quotité disponible à l’inverse, concerne la part des biens et droits successoraux n’étant pas réservée par la loi et dont la personne pu disposer librement avant son décès. La quotité disponible sera au maximum de 50%.

La réserve héréditaire ne peut être inférieure à : 50% des biens si le parent a un enfant ; 66% des biens si le parent a deux enfants ; 75% des biens si le parent a trois enfants ou plus.

Il existe néanmoins plusieurs techniques permettant à un parent de vider son patrimoine afin qu’à son décès, celui-ci ait assez diminué pour rendre peu importante la part de réserve héréditaire :

- Le parent peut donc décider de vendre en viager son habitation à l’un de ses enfants, ce qui diminuera la valeur de son patrimoine. Au moment de son décès, l’enfant sera propriétaire du bien qui ne sera pas entré dans la succession, et ne pourra dont être pris en compte dans le calcul de la réserve héréditaire.

- Il est également possible de recourir à une assurance vie, permettant de placer hors actif successoral la valeur du contrat. Le souscripteur peut désigner le bénéficiaire de son choix, et donc choisir la personne à qui reviendra les sommes qu’il a placées sur le contrat. Cette méthode a pour but de réduire de manière importante la quotité disponible.

- L’expatriation est une autre méthode de protection successorale. Les pays du Commonwealth ne connaissent en effet pas la notion de réserve héréditaire. Il serait donc possible d’envisager de s’expatrier dans l’un de ces pays afin de soustraire ses héritiers de la succession. La France étant adhérente au Règlement Succession signé le 4 juillet 2012, entré en application le 17 août 2015, la succession d’une personne peut être valablement régie sur le territoire français par les règles d’un Etat n’ayant pas connaissance du système de la réserve héréditaire. En septembre 2017, la Cour de cassation a en effet jugé que la réserve ne constituait pas un principe essentiel de notre droit, et n’a donc pas permis aux enfants de percevoir l’héritage de leur père.

- Une autre méthode consiste en l’apport du bien à une SCI en prévoyant une clause de tontine dans les statuts.



La clause de tontine inscrite dans les statuts de la SCI

La clause de tontine permet de placer le bien hors champ successoral.

À la création d’une SCI, ou au cours de sa vie sociale, il est possible d’inclure un pacte tontinier sur les parts sociales, au profit de l’associé survivant qui deviendra propriétaire de la quasi-totalité des parts sociales au moment du décès de l’autre associé.

Ce pacte peut également figurer dans l’acte de vente du bien. Chaque coacquéreur est alors propriétaire de celui-ci sous la condition suspensive de sa survie, ainsi que de la condition résolutoire de son décès. Au premier décès, le survivant est rétroactivement considéré comme étant le seul propriétaire du bien. Il est censé l’avoir été dès l’acquisition.

La clause de tontine se matérialise par l’insertion d’une clause dans les statuts, par un acte libre annexé par la suite aux statuts, sous seing privé, ou acte notarié, signé par tous les associés. Le notaire devra intervenir si la clause est ajoutée après l’achat du bien, afin d’établir l’acte et de l’enregistrer.



L’avantage successoral de la clause de tontine

La succession de l’associé décédé ne comportera pas les parts sociales ayant fait l’objet du pacte tontinier.

Il s’agit d’un moyen efficace permettant de contourner la réserve héréditaire puisque juridiquement, les parts n’ont jamais fait partie du patrimoine de l’associé décédé, et donc de sa succession.

Au bout de plusieurs années définies dans les statuts, ou à son décès, le défunt pourra envisager que l’héritier qu’il aura désigné deviendra juridiquement et automatiquement propriétaire de ses parts depuis l’origine de la SCI. Les autres associés ou le propriétaire du bien sont alors réputés n’avoir jamais existés, avec effet rétroactif au jour de l’acquisition. Les héritiers de la personne décédée ne pourront prétendre à aucun droit, ni revendiquer quelconque héritage.



Conditions

Pour bénéficier de la tontine, la valeur du ou des biens immobiliers ne doit pas être supérieure à 76 000 euros. Si la valeur dépasse ce montant, le survivant pourrait avoir à payer les droits de succession à hauteur de 60%, diminués d’un abattement aujourd’hui fixé à 1570 euros.



L’avantage fiscal modéré de la clause de tontine hors statuts de SCI

L’article 754 A du Code général des impôts dispose :

« Les biens recueillis en vertu d’une clause insérée dans un contrat d’acquisition en commun selon laquelle la part du ou des premiers décédés reviendra aux survivants de telle sorte que le dernier vivant sera considéré comme seul propriétaire de la totalité des biens sont, au point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit à chacun des bénéficiaires de l’accroissement. Cette disposition ne s’applique pas à l’habitation principale commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure à 76 000 €, sauf si le bénéficiaire opte pour l’application des droits de mutation par décès ».

En conséquence, si cette clause est insérée dans un acte d’achat, le survivant sera dans l’obligation de payer des droits de mutation à titre gratuit (plus élevés que les droits de mutation à titre onéreux) sur la partie du bien qu’il n’aura pas financé. Mais il existe un intérêt financier à insérer la clause de tontine dans les statuts d’une SCI : ne pas payer de droits de mutation à titre gratuit.



L’avantage financier de la clause de tontine insérée dans les statuts d’une SCI

Selon un arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry le 18 novembre 2003 (CA Chambéry, 1ère ch.civ. 18 nov. 2003, n° 02-926), l’opération résultant du pacte tontinier « ne peut en tout cas s’analyser comme une vente dont la contrevaleur figurerait à l’actif de la succession du défunt, ce qui exclut l’exigibilité de tout droit de mutation à titre gratuit »

Le survivant sera donc assujetti à des droits de mutation à titre onéreux sur les parts reçues au moment du décès de son associé, ce qui correspond à 5% au lieu des 60% de droits de mutation à titre gratuit.

Les biens immobiliers acquis en tontine ne sont pas soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Il faut cependant faire attention au risque de requalification de cette opération sur le fondement de l’abus de droit.



Éviter une requalification de la clause de tontine

L’administration fiscale peut requalifier la clause de tontine en abus de droit selon les situations, notamment si elle prouve que la SCI est un montage réalisé aux seules fins de réduire la taxation, autrement dit un abus de droit. Il convient pour l’éviter de faire preuve d’une rigueur juridique ainsi que d’une gestion impeccable de la SCI. Les décisions doivent être prises à l’unanimité.

La société ne doit pas être considérée comme fictive, et doit impérativement justifier de l’intérêt de la clause de tontine.

Cependant, si la clause vient à être requalifiée par l’administration fiscale, les parts sociales transférées après le décès de l’associé seront rapportables à la succession en tant que donation déguisée, le survivant étant alors assujetti aux droits de succession. Si l’abus de droit est caractérisé, une majoration de 80% des sommes réclamées pourrait être réclamée.



Le respect du caractère aléatoire du contrat

La clause de tontine dispose d’un caractère aléatoire. Deux critères doivent absolument être respectés :

- Les deux acquéreurs doivent participer au financement de façon égalitaire ;

- L’âge et l’état de santé de chacun des acquéreurs doit justifier le caractère aléatoire de la clause. Il ne faut pas pouvoir prévoir lequel des associés décèdera le premier.

Un important écart d’âge entre les associés n’est en principe pas autorisé, sous peine de requalification de l’opération, mais il peut cependant être compensé par des apports inégaux. Il convient de tenir compte que plus les parties à l’acte sont âgées, plus la différence d’âge est prise en compte par les tribunaux. Il faudra alors déséquilibrer davantage le financement. Les chances de gain ou de perte de chacun doivent être équivalentes, afin d’éviter la caractérisation d’une intention libérale.

Absence d’aléa et espérance de vie – Une trop grande différence d’âge entre les acquéreurs ou un mauvais état de santé de l’un d’eux au jour de l’acquisition peut suffire à faire disparaître tout aléa. Si chaque acquéreur a acquitté sa part dans le prix total, et que le défaut d’aléa résulte d’un ordre quasi certain des décès lors de l’acquisition, le décès du premier acquéreur a pour conséquence principale que sa part dans l’immeuble dépendra de sa succession et sera donc dévolue à ses héritiers. Mais la différence d’âge ne suffit pas toujours à caractériser à elle seule le défaut d’aléa.

Une absence d’aléa dans le financement – Le défaut d’aléa peut aussi résulter d’un déséquilibre important dans le financement de l’immeuble. Dans ce cas, la nullité de la clause de tontine interdira alors de considérer le survivant comme seul propriétaire du bien depuis le jour de l’acquisition. De plus, la qualification de la clause de libéralité peut être retenue et la réduction demandée par les héritiers réservataires si la libéralité porte atteinte à leur réserve. Il faut néanmoins que l’intention libérale du prémourant soit prouvée.



La rédaction de la clause de tontine

La clause de tontine ne peut comprendre de conditions, ni de durée de validité. Lorsqu’elle est établie, elle ne peut être ni annulée, ni modifiée. En cas de désaccord entre associés, les parts peuvent être rachetées d’un associé à l’autre. Mais il n’est pas possible d’annuler une telle clause par décision de justice. La seule solution est d’attendre le décès de l’associé.

En tout état de cause, il convient de respecter autant que faire se peut le caractère aléatoire du contrat tant sur la durée de vie que sur le financement du bien. Ce dernier doit être à peu près égal pour chaque associé, afin que l’opération ne soit pas requalifiée en donation déguisée au moment du décès de l’associé qui aurait une part plus importante dans ce financement.



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